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Andee

Quand je pense à mon cheminement dans le système de santé canadien, les mots qui me viennent sont incompréhension, frustration, impuissance, solitude. J’ai traversé plusieurs états assez sévères depuis l’âge adulte qui ont profondément marqué ma vie. Pour faire une histoire brève, à l’âge de 3 ans, un cousin qui vivait chez nous me faisait des attouchements sexuels et j’ai gardé ce lourd secret dans la honte et le dégoût de moi-même et de la sexualité jusqu’à 20 ans, j’ose enfin à parler à ma mère. À mon grand étonnement, celle-ci était déjà au courant, parce qu’à 3 ans je lui avais dit que mon cousin mettait de la salive sur mes parties intimes et m’embrassait tout en m’appelant sa femme. D’être restée toute ces années avec ce fardeau et ces pensées dégradantes sur moi-même ont également eu un impact sur ma vie adulte.

Au niveau de ma sexualité, je vis jusqu’à maintenant avec un blocage. Malgré le fait que j’ai déjà eu des relations de couple très profondes et fusionnelles, je n’ai jamais réussi à faire la pénétration. Je n’ai même jamais réussi à insérer un tampon, un doigt, une diva cup. À l’âge de 27 ans, j’ai décidé qu’il était temps que j’aille voir un gynécologue. Je n’avais jamais vu de gynécologue auparavant, et je voulais m’assurer que tout était ”correct” avec mon système reproducteur. Un doute planait aussi en moi, celui d’avoir un type d’hymen dit impénétrable, qui nécessite une intervention chirurgicale. J’ai donc pris mon courage à deux mains et j’ai été référée à un gynécologue dans un hôpital. D’emblée, j’ai dit au gynécologue que j’avais un traumatisme lié à mon enfance et que je ne voulais pas qu’il insère quoique ce soit, je souhaitais seulement qu’il fasse une observation externe en écartant les lèvres. Malgré ce que j’avais pris la peine de confier au gynécologue, ce dernier n’en a pas tenu compte et m’a grondée car chaque fois qu’il essayait de rentrer je ne sais pas trop quoi dans mon vagin, j’avais des mouvements brusques de repli. Jamais en 4 ans de vie commune avec mon copain, il n’avait réussi à rentrer ne serait-ce qu’un doigt. Et en 3 minutes, allongée sur une table froide avec un gynécologue froid et hautain, il s’attendait à ce que mes mouvements incontrôlable de légitime défense cessent et que je me laisse faire comme si de rien était. Après m’être fait engueuler par le gynécologue qui n’a pas voulu observer à l’externe comme je lui avais demandé, je lui ai dit de laisser faire, je me suis rhabillée, et il m’a dit d’aller consulter. J’ai pleuré sur le chemin du retour et je suis retournée à la case départ, sans plus d’informations sur ma situation.

Lorsque j’ai failli échouer la dernière session de mon bacc de chimie de l’environnement parce que j’avais peur de dormir à cause d’hallucinations horribles que j’associais à des attaques spirituelles, j’ai consulté un médecin qui m’a référée à une clinique du sommeil. Selon la clinique, mes paralysies du sommeil et hallucinations pourraient être liées à un trouble du sommeil du nom de narcolepsie, qui serait testé dans un test où je devais passer la nuit. J’ai donc été dormir à la clinique du sommeil, j’ai été pluggée de partout avec des électrodes sur tout le corps, sous la supervision d’une dame très froide qui venait me réveiller à différents moments de la nuit. 1500$ de clinique du sommeil plus tard, les résultats ont montré que j’avais une excellente qualité de sommeil et que pour valider la théorie de la narcolepsie, il fallait faire des tests supplémentaires…

Après un emploi où j’ai travaillé 7 jours sur 7 pendant un mois, en vivant un stress incroyable, je ne me suis plus jamais sentie comme avant. Depuis cette expérience jusqu’à ce jour, je vis dans un état de conscience altéré. Un état où je me sens du réveil au coucher, complètement gelée, comme si j’avais avalé toute une tablette de cachets. Cet état a altéré ma capacité à réfléchir, à me repérer dans l’espace, à retenir des informations, à être concentrée, et même à faire des calculs. Un moment donné, ce sentiment de dissociation de la réalité (c’est le nom que je lui donnais) était tellement intense qu’il empiétait sur mon travail. J’étais alors animatrice en environnement dans des classes primaires. Je me sentais comme un zombie, complètement gelée, constamment épuisée, et je devais faire semblant de péter le feu, d’avoir de l’entrain et de sourire car j’animais des ateliers pour les enfants. Ça me prenait toute ma force et mon énergie pour réussir à me concentrer et ne pas perdre le fil de mes idées. L’état était tellement intense que j’en venais à me demander si j’étais vraiment réelle, si les voitures qui roulaient dans la rue existaient vraiment, si je n’étais pas juste prise dans un grand long et interminable rêve… Je me suis même demandée si mon âme n’était pas coincée dans une dimension parallèle. J’avais du mal à ressentir les émotions, à vivre les choses, à être présente à moi-même, et envers mon amoureux, mes amis… Quand j’ai commencé à être vraiment déprimée et à réellement avoir envie de mourir, parce que je préfère mourir que de mener une vie de zombie-robot en pilote automatique, je suis allée consulter un médecin. Il m’a fait passer des tests sanguins, qui n’ont rien révélé, et il a voulu me prescrire des anti-dépresseurs, alors que la dépression n’était que le résultat de l’état chronique de planer en dehors de son corps et de s’écouter et se regarder de loin. 8 mois après les tests réalisés à la clinique du sommeil, la neurologue affiliée a enfin pu me rencontrer. Elle m’a prescrit des CONCERTA, médicaments que l’on donne aux personnes hyperactives (ce qui était très loin d’être mon cas), pour que ça m’aide à me concentrer et rester focus. Un an de concerta plus tard, mon état s’est empiré, je pleurais tous les jours, j’avais perdu du poids (ce qui n’était vraiment pas souhaitable étant donné que j’étais déjà limite), je n’osais plus me regarder dans le miroir parce que j’étais maigre et en souffrance, ce qui m’attristait encore plus. J’avais du mal à me lever le matin pour aller travailler, j’arrivais souvent en retard, et mes idées de mettre fin à mes jours étaient de plus en plus intenses et envahissantes. Je suis donc allée au CLSC pour parler à un intervenant psychosocial. Il m’a dit que s’il me mettait dans le système pour voir un psychologue, ça me prendrait des années avant que j’en voie un. Étant donné mon état critique, il m’a sommée de me rendre à l’urgence de l’Institut de santé mentale de Montréal, ce que je fis le jour suivant.

À l’institut de santé mentale, j’ai été reçue comme une psychopathe. On m’a fouillée pour voir si j’étais armée, et on m’a dépouillé de mon manteau, mon sac à dos, mon téléphone. Je n’avais plus rien. Je ne pouvais même pas prévenir mon copain que j’étais dans cet institut, car ils refusaient de me rendre mon téléphone. Je ne pouvais même pas accéder à de l’argent dans mon sac à dos pour m’acheter une barre tendre en guise de souper, car ils refusaient que j’accède au casier où était rangé mes affaires… Bref, ce passage éprouvant à l’urgence m’a permis d’avoir un rdv quelques semaines plus tard avec un psyschiatre dans une clinique spécialisée. Ces quelques semaines qui ont séparé mon passage à l’urgence au rendez-vous avec le psychiatre m’a paru une éternité, mais avait semé une lumière d’espoir. Je me raccrochais à ce rendez-vous, à cette clinique pour m’aider à dealer avec mon état de mort-vivant. Entre-temps, avec une conversation avec un ami, j’ai appris le vrai nom de la maladie dont je souffrais, la déréalisation. J’ai lu beaucoup sur le sujet, regardé des vidéos de personnes qui vivaient la même chose que moi . Puis le rendez-vous avec le psychiatre est arrivé. J’ai dû raconter ma vie devant le psychiatre et son équipe de 4 autres personnes… En allant des traumatismes sexuels datant de la petite enfance, à mon blocage au niveau de la pénétration qui à 27 ans n’était toujours pas résolu… J’ai raconté au psychiatre comment je n’avais plus envie de vivre, comment chaque jour était éprouvant et comment j’avais du mal à faire mon travail. Et à la fin de cette rencontre, il m’a annoncé que j’étais parfaitement équilibrée, que j’étais en pleine forme et qu’il ne pouvait rien pour moi, si ce n’est me mettre sur une liste de mon CLSC pour pouvoir parler à un psychologue.

Un après cet épisode, j’ai 28 ans. Je n’ai toujours pas été appelée par le psychologue du CLSC. Mais j’ai appris une grande leçon qui m’a vraiment servi jusqu’alors: il faut arrêter de remettre sa vie entre les mains des médecins. Tant que tu n’es pas en train de vomir du sang avec une tumeur grosse comme une balle de golf, ils ne feront rien pour toi. La guérison n’est pas entre les mains des médecins mais bien entre ses propres mains. Il faut cesser d’attendre après les autres pour prendre sa vie en main. J’ai complètement déchanté du système médical au Canada. Comment imaginer qu’un gynécologue puisse être aussi insensible et incompétent face à quelqu’un qui a des traumatismes liés à la sexualité..? Comment imaginer que des psychiatres puissent être aussi inutiles face à une maladie chronique pourtant documentée en santé mentale? Bref, je l’ai appris à la dure, mais au moins maintenant je sais que la solution à des problèmes plus délicats ne se trouve pas du côté de la médecine classique.